Le piratage sportif reste un fléau pour les ayants droit, les diffuseurs et, à terme, pour les amateurs eux-mêmes selon L’Informé. Car si les retransmissions illégales séduisent par leur gratuité, elles privent les ligues et plateformes de revenus cruciaux. En France, la lenteur des mécanismes de blocage face à ce phénomène est régulièrement pointée du doigt, notamment en comparaison avec d’autres pays européens plus réactifs. Une nouvelle loi adoptée par le Sénat en juin 2025 promet de changer la donne en simplifiant drastiquement les procédures. Mais à quel prix, et pour quelle efficacité réelle ?
Une loi qui promet un blocage « industriel » des sites pirates.
Le 11 juin 2025, le Sénat a adopté une proposition de loi portée par le sénateur Laurent Lafon, qui modifie en profondeur l’article L.333-10 du Code du sport. Ce texte, largement soutenu par les ayants droit audiovisuels et sportifs, introduit un mécanisme automatisé de blocage des sites pirates, sans nécessiter une saisine préalable de l’Arcom, autorité administrative indépendante jusque-là chargée de ces demandes.
Le blocage restera conditionné à une décision judiciaire initiale. Mais ensuite, pendant la durée de l’événement sportif ciblé, les ayants droit pourront signaler en temps réel les nouvelles URL, serveurs ou adresses IP utilisées par les pirates. Les opérateurs télécoms et intermédiaires techniques devront alors agir sans délai, en coupant l’accès aux contenus incriminés, y compris les week-ends. Cette possibilité vise notamment à corriger une lacune majeure du système actuel : l’inertie administrative hors jours ouvrés, qui offre aux diffuseurs pirates une fenêtre d’action confortable.
Une avancée technique et symbolique, mais des défis persistants.
Cette réforme répond à une critique récurrente : l’inefficacité relative du dispositif français face à des systèmes plus réactifs comme au Royaume-Uni ou en Italie. En 2023, la France bloquait environ 5 000 sites pirates par an, quand ses voisins parvenaient à en neutraliser plusieurs milliers en quelques jours lors de grands événements. DAZN, diffuseur actif dans plusieurs pays européens, avait même publiquement déploré ce retard français.
En théorie, le nouveau dispositif permettra un « blocage dynamique » proche de celui déjà pratiqué pour les sites de streaming illégaux de cinéma et de séries. Mais les spécificités du sport – diffusion en direct, multiplicité des canaux de repli – complexifient l’équation. Car malgré la promesse d’un système automatisé, il faudra que les FAI coopèrent sans délai, et que les informations transmises soient exactes, ce qui suppose des moyens humains et techniques renforcés chez les ayants droit.
Autre enjeu soulevé : le blocage par IP. Il s’agit ici d’aller au-delà des simples URL en ciblant directement les serveurs sources. Cette méthode, plus radicale, s’inspire des pratiques britanniques qui utilisent le « IP blocking » pendant les matchs de Premier League. Elle permet une désactivation plus rapide mais pose aussi la question du surblocage potentiel (sites légitimes partageant l’IP) et de la proportionnalité de la mesure.
Le piratage : une valse hésitation entre efficacité technique et débats juridiques.
Si cette réforme est saluée par les diffuseurs et les fédérations sportives, elle soulève plusieurs débats. D’abord, celui de l’équilibre entre lutte contre la fraude et libertés numériques. Certains acteurs du numérique alertent sur le risque de décisions automatisées aux contours flous, sans garanties suffisantes pour les hébergeurs ou les intermédiaires techniques. En supprimant l’étape de l’Arcom, le système gagne en rapidité, mais perd en contrôle indépendant.
Ensuite, se pose la question de l’évaluation du dispositif : comment mesurer son efficacité réelle, et surtout son impact dissuasif ? Car les sites pirates, souvent hébergés à l’étranger, changent régulièrement d’infrastructure. Le jeu du chat et de la souris pourrait donc continuer, malgré le renforcement législatif.
Enfin, la réussite de cette loi dépendra largement de la mobilisation des opérateurs télécoms. S’ils sont techniquement en mesure d’appliquer ces blocages, encore faut-il qu’ils soient dotés des outils adéquats, et que les procédures soient claires et uniformes. Le régulateur devra aussi s’assurer que le dispositif ne génère pas de ralentissements ou de coupures injustifiées pour les usagers.
Une loi test pour la régulation numérique sectorielle.
Ce nouveau texte peut être vu comme une expérimentation à grande échelle d’une régulation plus agile, ciblée, et sectorielle du web. Le sport sert ici de laboratoire, mais d’autres secteurs culturels – musique, jeux vidéo, presse – pourraient suivre si le modèle s’avère concluant. Cela marque peut-être la fin d’un modèle de régulation généraliste, trop lent face à la viralité des contenus numériques.
Certains juristes, comme Cédric Manara (Google), ou des spécialistes de la régulation numérique tels que Joëlle Toledano (ex-ARCEP), ont déjà plaidé pour des mécanismes plus adaptatifs, proches de la « régulation algorithmique ». La proposition Lafon pourrait incarner cette logique : allier contrôle judiciaire initial, réactivité technique, et responsabilisation des intermédiaires.
La France à l’heure du blocage express, mais sous vigilance.
En accélérant le blocage des sites pirates pendant les événements sportifs, la France tente de reprendre la main sur un sujet explosif à l’ère du tout-streaming. Cette réforme marque un tournant législatif important, à la fois en termes de méthode et d’ambition. Mais elle soulève aussi de vraies interrogations sur la gouvernance de l’internet, les libertés numériques et la place laissée aux contre-pouvoirs. Il ne s’agit pas seulement de frapper plus vite, mais aussi de frapper juste. La suite se jouera dans les tribunaux, dans les data centers… et sur les écrans des supporters.