La bataille entre Bruxelles et les géants du numérique monte d’un cran. Ce 11 juin, Meta et TikTok ont ouvert un double front juridique contre la Commission européenne, contestant les frais que leur impose le Digital Services Act. À travers leurs avocats, les deux plateformes dénoncent des calculs « opaques », « invraisemblables » et « discriminatoires » selon Reuters. L’affaire se joue devant la deuxième plus haute juridiction de l’Union européenne, et pourrait avoir des conséquences durables sur la régulation du Web en Europe.
Le DSA en cause : des frais jugés flous et injustifiés
Adopté en 2022, le Digital Services Act impose aux 19 plus grandes plateformes numériques de l’UE des frais annuels de surveillance, équivalents à 0,05 % de leur chiffre d’affaires mondial. L’objectif : financer le travail de supervision de la Commission européenne pour garantir leur conformité.
Mais Meta et TikTok contestent frontalement la méthode de calcul utilisée :
- Meta reproche à la Commission de se baser sur les résultats financiers consolidés du groupe, et non de la filiale européenne concernée. Son avocat Assimakis Komninos dénonce une méthode qui va “à l’encontre de l’esprit de la loi”.
- TikTok, représentée par Bill Batchelor, parle de chiffres “gonflés” et de méthodes “discriminatoires”, accusant la Commission de compter deux fois les mêmes utilisateurs (notamment ceux qui changent d’appareil) et de faire payer les plus rentables pour l’ensemble du système.
Une querelle de chiffres ou un débat de fond ?
Derrière les considérations comptables, c’est un bras de fer politique et idéologique qui se joue. Pour la Commission européenne, l’assujettissement à ces frais est justifié : les géants du numérique doivent participer aux coûts de la régulation qu’ils rendent nécessaires. Comme l’a rappelé Lorna Armati, avocate de la Commission :
“Lorsqu’un groupe a des comptes consolidés, ce sont ses ressources globales qui comptent. Les entreprises ont reçu les informations nécessaires.”
En d’autres termes : qui profite du marché européen doit en assumer les responsabilités.
Mais du côté des plateformes, la pilule ne passe pas. Le sentiment d’un traitement inéquitable, d’une réglementation punitive et d’une absence de transparence se fait entendre. TikTok insiste notamment sur le caractère “excessif” du plafond des frais, surtout quand l’entreprise est en phase de croissance mais pas encore rentable.
Une décision attendue pour 2026, mais déjà un précédent
La Cour générale de l’Union européenne (deuxième plus haute instance après la CJUE) rendra son jugement courant 2026. Les affaires, enregistrées sous les références T-55/24 (Meta Platforms Ireland) et T-58/24 (TikTok Technology), pourraient créer un précédent important sur la manière dont l’Europe finance sa régulation du numérique.
Si la Cour donne raison aux plateformes, c’est tout l’édifice des frais DSA qui pourrait vaciller. À l’inverse, une validation renforcerait la Commission dans sa volonté de faire payer les “gatekeepers” pour leur place dominante.
Entre régulation et rébellion, une bataille qui fait jurisprudence
Le contentieux entre Meta, TikTok et Bruxelles dépasse la simple question des chiffres. Il interroge le modèle même de régulation européenne du numérique : qui paie ? Comment ? Et avec quelle légitimité ?
À l’heure où l’UE multiplie les textes structurants (DSA, DMA, AI Act), ce bras de fer montre à quel point la souveraineté réglementaire européenne reste fragile face aux géants technologiques. Mais il montre aussi que les règles ont changé : l’ère de l’autorégulation molle est révolue. Désormais, c’est au juge européen de dire jusqu’où va le droit de regard de Bruxelles.