Les applications de streaming illégal prennent une longueur d’avance. Pour contrer cette nouvelle vague de piratage, la justice française hausse le ton selon Marc Rees pour l’Informé, toujours très au fait. Dans une décision rendue mi-mai, le Tribunal judiciaire de Paris a ordonné aux principaux fournisseurs d’accès à internet de bloquer 105 URL servant de passerelles vers des plateformes pirates, notamment sur Android. Ce tournant marque un élargissement de la stratégie anti-piratage, qui vise désormais l’écosystème technique entourant les applications frauduleuses.
105 URL bloquées : la riposte judiciaire s’organise
Le 15 mai 2025, le Tribunal judiciaire de Paris a tranché : Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free devront bloquer l’accès à 105 URL utilisées pour distribuer des applications de streaming illégal. Ces applis, souvent hébergées sur des sites tiers en dehors du Play Store ou de l’App Store, permettent un accès clandestin à des centaines d’œuvres protégées.
L’action a été menée par un collectif d’acteurs du cinéma et de la vidéo, emmené par la FNEF, le SEVN, l’UPC et le SPI, avec le soutien du CNC, de Gaumont et de Disney. Pour étayer leur plainte, ils ont fait appel aux agents assermentés de l’ALPA (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle), qui ont documenté un catalogue de 372 œuvres piratées disponibles via ces plateformes.
Les œuvres concernées ne laissent aucun doute sur la cible de ces services illégaux : Vice-Versa 2, Les Déguns 2, Le Comte de Monte-Cristo, Ted Lasso ou encore Un p’tit truc en plus. Un contenu majoritairement francophone, consommé massivement depuis le territoire français.
Applications de streaming illégal : la nouvelle zone grise
Le blocage d’URL n’est pas nouveau. Mais la cible évolue. Finies les plateformes web identifiables comme Zone-Téléchargement ou Papystreaming. Les ayants droit traquent désormais les APK distribués sur des sites non officiels, qui permettent à l’utilisateur d’installer une application de streaming sur son smartphone Android en quelques clics.
Ces applications, souvent déguisées en lecteurs vidéo ou agrégateurs de contenus, échappent au radar des App Stores grâce à leur diffusion en dehors des circuits certifiés. Le recours massif à ces APK illégaux illustre une migration du piratage vers des zones moins contrôlables, où les techniques d’obfuscation et d’actualisation rapide rendent la lutte particulièrement difficile.
Sur iPhone, le phénomène est plus rare – mais il existe. Des versions « web-apps » ou des détournements via des profils de configuration peuvent permettre l’accès aux mêmes services. L’écosystème iOS étant plus fermé, les contournements y sont plus complexes, mais pas impossibles.
Quel rôle pour les FAI dans cette traque numérique ?
En France, les fournisseurs d’accès jouent un rôle technique central dans la lutte contre le piratage. Conformément aux décisions judiciaires, ils sont tenus de bloquer les noms de domaine ou les adresses IP listés par les plaignants. Mais cette coopération soulève des questions juridiques et techniques : la mesure est-elle proportionnée ? efficace ? contournable ?
D’un point de vue technique, le blocage DNS est relativement simple à contourner via l’usage de DNS tiers ou de VPN. Et chaque URL bloquée peut rapidement être clonée ailleurs, dans un jeu du chat et de la souris dont l’utilisateur averti connaît les règles.
Par ailleurs, ce rôle assigné aux FAI soulève des enjeux en matière de neutralité du Net. Bien que la jurisprudence française permette cette responsabilité encadrée, la multiplication des décisions judiciaires élargissant les obligations des opérateurs pose la question de leur positionnement dans le débat public numérique.
Une politique efficace ou une fuite en avant ?
Si le blocage ponctuel d’URL permet de ralentir la diffusion d’applications illégales, il ne constitue pas une solution durable. Le piratage reste extrêmement agile et réactif. À chaque site fermé ou URL bloquée, une dizaine d’alternatives émergent dans la foulée. Ce constat appelle à un élargissement des leviers d’action :
- Renforcement de l’éducation aux usages numériques licites ;
- Coopération accrue avec les stores officiels (Google, Apple) pour filtrer les applications suspectes ;
- Développement d’une offre légale attractive, simple d’accès et abordable ;
- Et, peut-être, adoption de solutions techniques plus radicales (filtrage dynamique, blockchain d’empreinte de contenus, etc.).
La France, via l’Arcom, s’est déjà dotée d’un cadre de coopération avec les ayants droit. Mais la complexité technologique du piratage mobile appelle une réponse plus coordonnée à l’échelle européenne.
Une guerre numérique de longue haleine
L’affaire des 105 URL bloque un canal, mais la rivière du piratage continue de serpenter. La stratégie judiciaire évolue, les outils s’affinent, mais les usages pirates persistent. Ce bras de fer entre innovation illégale et régulation légitime devient un des enjeux clés de la souveraineté culturelle numérique.
Dans ce contexte, les opérateurs, souvent pointés du doigt pour leur passivité, deviennent des acteurs opérationnels de la lutte anti-piratage. Mais jusqu’où faudra-t-il aller pour éradiquer une pratique qui s’adapte en permanence ?