Accélérer la transformation numérique des filières stratégiques françaises : c’est le pari de l’Arcep, qui franchit une nouvelle étape en matière de 5G industrielle en France. En lançant deux consultations publiques sur l’usage de la bande 3,8–4,2 GHz, le régulateur entend permettre aux entreprises, hôpitaux, collectivités ou sites sensibles de déployer leurs propres réseaux 5G privés. Une initiative ambitieuse, qui pourrait rebattre les cartes du paysage télécom professionnel.
Deux consultations, un même objectif
Le 2 juin, l’Arcep a ouvert deux consultations publiques structurantes pour l’avenir de la 5G industrielle :
Consultation 1 : modalités d’attribution des fréquences
Elle précise les conditions d’accès à la bande 3,8–4,2 GHz, avec un cadre spécifique pour les réseaux mobiles locaux indépendants. Les acteurs publics ou privés pourraient ainsi demander l’usage exclusif d’une portion de spectre, sur un périmètre défini, sans passer par les grands opérateurs.
Consultation 2 : conditions techniques d’utilisation
Ce volet s’appuie sur les travaux européens de la CEPT et les spécificités françaises. Il s’agit d’encadrer les puissances d’émission, les protections inter-bandes et la coexistence avec les services satellitaires déjà présents dans cette bande haute.
Les contributions sont attendues jusqu’au 2 juillet 2025, pour une mise en œuvre progressive. Parallèlement, le guichet d’expérimentation de la bande 3,8–4,0 GHz, ouvert depuis 2022, reste actif jusqu’à fin 2025.
Pourquoi cette bande 3,8–4,2 GHz est-elle cruciale pour la 5G industrielle ?
La 5G industrielle ne se résume pas à un meilleur débit. Elle ouvre la voie à des réseaux mobiles privés ultra-fiables, adaptés aux environnements critiques : usines automatisées, hôpitaux, ports, campus logistiques ou centrales énergétiques. Ces réseaux peuvent garantir une latence minimale, une sécurité maximale et un isolement total du réseau grand public.
La bande 3,8–4,2 GHz est la grande absente des enchères classiques. Elle est considérée en Europe comme une « bande verticale », réservée à l’usage local et non commercial. L’Allemagne a ouvert la voie avec un succès notable, permettant à Siemens, Bosch ou Lufthansa de bâtir leurs propres infrastructures 5G.
En France, plusieurs expérimentations pilotes ont vu le jour, à l’instar du campus 5G de l’université de Lille, ou des réseaux privés testés dans l’industrie ferroviaire et aéronautique. L’objectif de l’Arcep est donc clair : créer un cadre stable, lisible et attractif pour permettre le passage à l’échelle.
Vers une souveraineté numérique industrielle ?
Avec cette consultation, la France renforce sa stratégie de souveraineté numérique. Plutôt que de confier l’ensemble des flux critiques à des opérateurs privés généralistes, les verticales (santé, énergie, sécurité, industrie) pourront gérer leurs propres réseaux mobiles, à la carte.
Cela soulève plusieurs enjeux :
- Au niveau des compétence techniques, les acteurs doivent avoir les ressources pour gérer un réseau mobile (ou s’appuyer sur des intégrateurs spécialisés comme Capgemini, Orange Business ou Atos).
- S’agissant du coût d’entrée, les modalités tarifaires seront essentielles. L’Allemagne a fixé un barème progressif, avec des licences à partir de 1 000 €/an.
- Enfin, du côté de l’interopérabilité, comment garantir que ces réseaux privés ne deviennent pas des silos isolés ?
Cette approche peut aussi accélérer l’émergence d’un écosystème d’intégrateurs 5G spécialisés, à la croisée du cloud, de l’edge computing et de la cybersécurité.
Une 5G sur mesure, mais à quel rythme ?
L’Arcep joue une partition fine : encourager l’innovation tout en évitant les chevauchements ou les interférences avec les usages satellitaires ou les opérateurs historiques. La bande 3,8–4,2 GHz est précieuse… mais aussi sensible.
En fixant un cadre clair dès 2025, le régulateur espère voir émerger des centaines de réseaux 5G privés dans les années à venir, à l’image de ce qui se passe en Asie ou aux États-Unis. Reste à savoir si les acteurs français seront prêts — techniquement, économiquement et réglementairement.