Coup dur pour Google. Accusé d’avoir verrouillé l’accès au marché de la recherche en ligne, le géant californien a été reconnu coupable de pratiques anticoncurrentielles par la justice américaine. Une décision retentissante, qui pourrait profondément remodeler les équilibres du numérique mondial. Dès le lendemain, Google a fait savoir son intention de faire appel. Derrière cette bataille judiciaire se cache une autre guerre : celle pour l’avenir de la recherche à l’ère de l’intelligence artificielle.
Une décision judiciaire qui remet tout en cause
C’est l’issue d’un procès marathon entamé en 2020 par le Département de la Justice américain (DoJ). L’été 2024, un juge fédéral a estimé que Google a sciemment abusé de sa position dominante dans la recherche en ligne, en verrouillant des accords d’exclusivité avec des partenaires stratégiques comme Apple, Samsung ou Mozilla.
Ces accords – parfois chiffrés à plus de 20 milliards de dollars par an – garantissent que Google soit le moteur par défaut sur des milliards de terminaux. Pour la justice, cette stratégie empêche toute concurrence équitable, en coupant l’accès aux utilisateurs dès le premier contact avec l’appareil.
Parmi les sanctions envisagées, certaines sont explosives, telles que :
- L’interdiction de ces accords d’exclusivité avec les fabricants et navigateurs.
- Une possible cession de Chrome, le navigateur maison de Google.
- L’obligation de partager ses données pour permettre à d’autres moteurs d’améliorer leurs résultats.
En réaction, Google a publié un communiqué sur X (ex-Twitter), affirmant que « la décision est erronée » et annonçant un appel formel dans les semaines à venir.
Pourquoi cet appel de Google est une bataille vitale
Google ne se contente pas de contester une amende. Il joue ici la survie de son modèle économique basé sur la publicité ultra-ciblée issue des requêtes de recherche. L’exclusivité sur les points d’entrée (comme Safari ou Chrome) est la clé de voûte de ce système.
En remettant en cause ces accords, la justice américaine ouvre une brèche dans un modèle que Google perfectionne depuis deux décennies. Cela pourrait réduire drastiquement sa part de marché (aujourd’hui >90 % dans de nombreux pays),accroître la visibilité de moteurs concurrents comme Bing, DuckDuckGo ou Qwant,et favoriser l’émergence d’alternatives basées sur l’IA.
Car l’autre argument de Google est ici stratégique : la concurrence ne vient plus seulement des moteurs classiques, mais des modèles d’intelligence artificielle générative (ChatGPT, Perplexity, Claude, Mistral, etc.), qui captent désormais l’attention des internautes pour les requêtes les plus fréquentes.
Mais pour le DoJ, cette évolution ne justifie pas les pratiques passées, ni l’emprise actuelle de Google sur la chaîne d’accès à l’information.
IA générative : le nouveau terrain de domination ?
Un paradoxe pointe dans cette affaire. Alors que Google est accusé de tuer la concurrence dans la recherche, il est aussi leader dans l’IA générative, avec son modèle Gemini intégré dans Search, Gmail et Chrome.
Selon Reuters, le juge s’est inquiété que cette domination passée dans la recherche classique serve de levier pour imposer Gemini dans les usages IA. Autrement dit, Google pourrait répéter la même mécanique : imposer son assistant IA par défaut partout, avant même que des alternatives émergent.
Ce débat rejoint celui de l’interopérabilité des modèles : faut-il obliger Google à ouvrir Gemini à la concurrence, comme on a demandé à Microsoft d’ouvrir Windows à d’autres navigateurs en 2004 ? Une question brûlante pour la FTC (Federal Trade Commission), mais aussi pour les régulateurs européens.
Ce que cela signifie pour l’univers tech (et les utilisateurs)
Le bras de fer entre Google et la justice américaine est un signal fort envoyé à l’ensemble du secteur numérique. Il s’inscrit dans une tendance mondiale : celle d’un resserrement des régulations autour des Big Tech.
En Europe, le DMA (Digital Markets Act) impose déjà depuis 2024 à Google :
- de permettre aux utilisateurs de choisir leur moteur par défaut,
- d’ouvrir certains services clés à l’interopérabilité,
- et de limiter l’auto-préférence de ses services (comme Maps ou YouTube dans les résultats).
Pour les utilisateurs, cela marquera probablement un retour à une plus grande diversité d’accès à l’information, à condition que les alternatives soient réellement concurrentielles.
Le procès de la décennie pour Google… et pour le web
L’appel de Google ne sera pas seulement une bataille juridique. C’est un combat pour la définition de l’économie numérique de demain : centralisée et contrôlée par quelques plateformes ? Ou ouverte, concurrentielle, pilotée par l’innovation réelle ?
La décision finale de la Cour d’appel pourrait faire jurisprudence mondiale. En attendant, Google tente de gagner du temps… pendant que d’autres acteurs comme OpenAI, Perplexity ou Brave cherchent déjà à occuper le terrain.