Face à l’expansion fulgurante de Starlink et à la montée en puissance d’Amazon Kuiper, l’Europe riposte. Bruxelles vient d’autoriser le rachat du géant américain Intelsat par le groupe SES, basé au Luxembourg. Cette opération à 2,8 milliards d’euros pourrait redessiner l’équilibre mondial du marché de l’internet par satellite. Mais suffit-elle pour combler le retard technologique et stratégique de l’Union européenne dans la guerre des constellations ?
Une opération validée par Bruxelles pour renforcer l’Europe spatiale
Annoncé en avril 2024, le projet de rachat d’Intelsat par SES vient d’être validé par la Commission européenne. Cette dernière a estimé que la fusion « ne posait pas de problème de concurrence dans l’Espace économique européen », ouvrant la voie à une consolidation transatlantique sans condition.
SES (Société Européenne des Satellites), connue pour sa flotte Astra et ses services de diffusion télévisée, absorbe ainsi un acteur américain historique, spécialiste de la connectivité en orbite moyenne (MEO) et haute (GEO). Ce rapprochement permettrait à l’ensemble SES-Intelsat de renforcer sa position sur le marché mondial très disputé de la connectivité spatiale.
Mais pour que le mariage devienne effectif, il manque encore une autorisation clé : celle des autorités américaines, qui devront également se prononcer.
En quoi ce rachat SES Intelsat change la donne pour l’Europe
Cette opération permet à SES, l’un des derniers champions européens du satellite, de gagner en échelle face à des géants déjà bien implantés comme Starlink (plus de 6 700 satellites en orbite basse) ou Amazon Kuiper, qui vient de lancer ses premiers prototypes.
Mais ce n’est pas tout puisque la manoeuvre ne suffira pas à concurrencer Starlink à armes égales. Le SES et Intelsat restent positionnés sur des orbites moyennes ou géostationnaires, avec des temps de latence supérieurs et une couverture plus limitée pour l’internet mobile global. En revanche, la complémentarité pourrait venir de partenariats intelligents : Intelsat coopère déjà avec OneWeb, la constellation LEO d’Eutelsat.
Ce que l’on doit y voir c’est surtout un signal politique autant qu’économique ; l’Europe entendant affirmer son indépendance face à la domination américaine et chinoise dans l’espace. À l’heure où la connectivité est un enjeu de souveraineté, ce rapprochement transatlantique à majorité européenne résonne comme une tentative de rééquilibrage.
Pour clore le tout, le programme IRIS² de l’Union européenne, prévu pour 2027, ambitionne de créer une constellation souveraine européenne. Avec une SES renforcée par Intelsat, l’UE pourrait compter sur un acteur solide pour participer à ce projet, en complément des ambitions d’Eutelsat-OneWeb.
Un marché en orbite basse… mais en tension haute
Le marché de la connectivité par satellite se polarise autour de l’orbite basse (LEO), prisée pour ses faibles latences et son maillage dense. Starlink domine, mais Kuiper, OneWeb et bientôt d’autres acteurs, comme Telesat (Canada) ou la Chine, veulent leur part du gâteau.
Dans ce contexte, l’Europe part de loin. Si SES et Intelsat combinent leur savoir-faire et renforcent leurs coopérations en LEO, ils pourraient devenir des fournisseurs stratégiques d’infrastructures pour les services critiques, notamment les réseaux résilients, les zones blanches ou les communications militaires.
Un premier pas vers une souveraineté orbitale européenne ?
Le rachat d’Intelsat par SES n’est pas une réponse immédiate à Starlink. Mais c’est un mouvement défensif particulièrement important pour éviter la marginalisation de l’Europe dans la course aux constellations. Si le feu vert américain arrive, l’opération pourrait faire émerger un géant hybride, à mi-chemin entre la vieille école du satellite et les ambitions modernes de connectivité globale.
Reste à savoir si cette alliance portera ses fruits face à l’innovation disruptive des acteurs LEO, ou si l’Europe devra encore monter en puissance via ses propres constellations. IRIS², SES renforcé, OneWeb… et si 2025 marquait le vrai début d’un espace numérique souverain ?