Hier, l’attention de tout le secteur des télécommunications se tourne vers une salle d’audience parisienne. Le tribunal des activités économiques de la capitale devait se prononcer sur un plan de redressement financier d’ampleur destiné à stabiliser Altice France, maison mère de SFR. Derrière cet exercice judiciaire se cache un enjeu vital : permettre au groupe, lourdement endetté, de retrouver une respiration financière… ou risquer un scénario de fragilisation accélérée.
Depuis des années, Altice France jongle avec une dette considérable héritée de la stratégie d’expansion rapide menée par Patrick Drahi. Début 2024, un accord a été noué avec les principaux créanciers – parmi lesquels figurent des fonds d’investissement mondiaux comme BlackRock, Pimco ou Fidelity – afin de réduire l’encours de dette de près de 9 milliards d’euros, en échange d’une entrée significative de ces investisseurs au capital du groupe. Cette réorganisation, qui maintiendrait Patrick Drahi en position majoritaire, devait initialement être une formalité. Mais la procédure s’est révélée plus incertaine que prévu.
Un point de blocage inattendu au cœur du dossier.
Alors que la restructuration semblait sur des rails, le ministère public a formulé une objection ciblée : selon lui, certaines filiales stratégiques – SFR SA, SFR Fibre et Completel – ne devraient pas être engagées comme caution de la dette globale. L’argument repose sur une logique de protection des actifs opérationnels essentiels, qui constituent le cœur de l’activité commerciale et technique de SFR.
Cette position trouve un écho favorable auprès des syndicats de l’opérateur. L’UNSA, en première ligne, alerte sur les risques d’un éclatement du groupe ou d’une pression financière accrue sur les structures qui assurent le service aux clients et l’entretien du réseau. Les représentants du personnel redoutent que cette opération ne serve de marchepied à un démantèlement partiel, avec des conséquences directes sur l’emploi et la pérennité du réseau.
Des scénarios contrastés selon l’issue de l’audience.
Si le tribunal valide intégralement le plan, Altice France pourra enclencher rapidement son programme de désendettement et tenter de rassurer marchés et partenaires. Toutefois, cette validation pourrait être suivie d’un recours du parquet ou du comité social et économique central, ce qui repousserait sa mise en œuvre effective de plusieurs mois.
Dans le cas où la décision limiterait le périmètre du plan, voire le refuserait, le groupe devrait revoir entièrement sa copie. Cela pourrait passer par de nouvelles négociations tendues avec les créanciers, des cessions d’actifs non stratégiques ou, plus radicalement, l’ouverture à des partenariats capitalistiques inédits. Dans ce contexte, l’ombre d’un rachat partiel ou total par un concurrent n’est plus un tabou.
Un marché français en ébullition autour d’une possible consolidation.
L’avenir de SFR dépasse la seule question de sa dette. Depuis plusieurs années, les discussions autour d’une réduction du nombre d’opérateurs sur le marché français reviennent avec insistance. De quatre acteurs nationaux (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free), le marché pourrait passer à trois si un rapprochement se concrétise.
Orange, Bouygues Telecom et Free auraient déjà exploré divers scénarios, y compris la possibilité de se partager les actifs de SFR. Ce type de consolidation, courant dans d’autres pays européens, pourrait générer des économies d’échelle, optimiser les investissements dans la 5G et la fibre, et potentiellement stabiliser les prix dans un marché longtemps marqué par une guerre tarifaire destructrice.
Quelles implications pour l’ensemble du secteur ?
L’issue de cette audience aura des répercussions bien au-delà d’Altice France. Elle influencera :
- La capacité d’investissement puisqu’un SFR financièrement assaini pourrait redevenir offensif sur la fibre, la 5G SA et les offres convergentes fixe-mobile.
- La dynamique concurrentielle : avec un SFR affaibli ou racheté redistribuerait les cartes sur un marché en quête de marges stables.
- La régulation sectorielle : l’Autorité de la concurrence et l’Arcep devraient se prononcer sur toute opération de concentration, avec un impact sur la couverture réseau et les tarifs.
Une affaire symptomatique de la fragilité structurelle des télécoms.
Cette situation est le reflet d’une réalité : les opérateurs européens, soumis à des investissements massifs dans les infrastructures et à une pression tarifaire intense, peinent à conjuguer innovation et rentabilité. En France, la bataille pour la 5G, le développement de la fibre et la modernisation des réseaux mobiles impose un effort financier colossal que seule une structure financière solide peut soutenir.
Pour Altice France, l’audience d’hier représentait donc bien plus qu’un simple passage judiciaire : c’était une épreuve de crédibilité devant les marchés, les régulateurs, les partenaires et les salariés. Sa capacité à convaincre que son modèle est viable à long terme pourrait bien conditionner la configuration du marché pour la prochaine décennie.