Alors que le calendrier de fermeture du réseau cuivre s’accélère et que le déploiement de la fibre optique à 100 % devait enfin devenir une réalité, le début d’année 2025 marque un coup d’arrêt préoccupant dans plusieurs zones du territoire. C’est le constat dressé par l’Avicca, à partir des dernières données publiées par l’Arcep. Les déploiements, en particulier dans les zones AMEL, AMII et CPSD, stagnent, reculent parfois, ou sont tout simplement à l’arrêt. Au-delà des chiffres, c’est la crédibilité même de l’objectif national du “tout fibre” qui est remise en question.
Un ralentissement visible dans tous les types de zones
Zones AMEL : des promesses locales qui s’essoufflent
Les zones AMEL (Appels à Manifestation d’Engagements Locaux), censées permettre à des opérateurs privés de déployer la fibre à la place des collectivités, présentent des résultats très hétérogènes. Si certaines zones comme la Vienne et les Deux-Sèvres gardent une dynamique convenable (près de 3 % de prises supplémentaires au trimestre), d’autres affichent un quasi statu quo.
En Haute-Vienne et en Savoie, les travaux sont toujours en cours, mais n’aboutissent pas à la mise en service de nouvelles prises. Le Lot-et-Garonne reste l’un des rares départements à maintenir une progression régulière (+1,2 %), tandis que les Landes, les Hautes-Alpes ou les Alpes-de-Haute-Provence stagnent en dessous de 1 %.
Zones CPSD : une inertie inquiétante
Les zones dites CPSD (Complément de Programmation du Service de Desserte), qui représentent des zones où l’État est censé pallier l’inaction privée, peinent toujours à prendre leur envol. Dans les Hautes-Pyrénées ou le Territoire de Belfort, l’Avicca déplore une quasi-absence d’évolution, notamment en l’absence d’une forte incitation à accélérer, comme le serait un calendrier clair de fermeture du cuivre dans ces territoires.
Zones AMII : les grandes villes à la traîne
Les zones AMII (Appels à Manifestation d’Intention d’Investissement), théoriquement couvertes par les opérateurs privés depuis 2020, posent encore problème. Certaines communes, comme Duranus (06), Kalhausen (57) ou Mas-des-Cours (11), ne disposent toujours d’aucune infrastructure fibre, malgré les engagements signés en 2015.
Et même dans de grandes agglomérations, le retard est palpable : Avignon et Bondy plafonnent à 70 % de foyers raccordables, tandis que Grasse, Orange, Nîmes, Arles, Sète ou Épinal stagnent autour de 80-88 %, bien en dessous des objectifs fixés il y a dix ans.
Pourquoi le déploiement fibre cale en 2025 ?
Un modèle hybride à bout de souffle
Le ralentissement actuel traduit les limites du système hybride mis en place en France entre zones privées et zones d’initiative publique. En AMII, les engagements des opérateurs sont trop peu contraignants, et les sanctions en cas de non-respect sont quasi inexistantes. En AMEL, les entreprises candidates ont parfois sous-estimé la complexité du chantier ou surestimé leur capacité d’exécution, surtout dans les zones rurales.
Quant aux CPSD, leur faiblesse actuelle révèle un manque d’arbitrage politique clair : qui doit agir, à quel coût, et selon quel calendrier ? Les collectivités, souvent démunies, n’ont ni les moyens ni les leviers pour faire bouger les lignes sans l’appui de l’État.
Un contexte économique et industriel tendu
Plusieurs facteurs conjoncturels expliquent aussi ce ralentissement :
- La hausse des coûts des matériaux et de l’énergie, qui alourdit les budgets de déploiement ;
- La tension sur les ressources humaines qualifiées, dans un secteur où les techniciens fibre sont en nombre limité ;
- Le recentrage stratégique de certains opérateurs, qui préfèrent améliorer la rentabilité de leur parc existant plutôt que de poursuivre des investissements lourds dans les zones peu denses.
L’effet dissuasif du cuivre encore actif
Enfin, tant que le réseau cuivre n’est pas réellement fermé, les opérateurs n’ont aucune incitation forte à finaliser les déploiements fibre, notamment dans les derniers pourcents les plus coûteux. Dans les zones où le cuivre reste fonctionnel, les arbitrages économiques jouent contre la fibre. Le lien entre le démantèlement effectif du cuivre et l’achèvement de la fibre devient de plus en plus évident.
Une équation politique délicate pour 2025
L’année 2025 devait marquer une accélération finale du chantier fibre. Au contraire, elle s’ouvre sur un signal d’alarme. Les collectivités territoriales, qui ont investi massivement dans les RIP (réseaux d’initiative publique), s’impatientent. L’État, via l’Arcep et l’Agence du numérique, doit désormais passer de la coordination à la régulation active.
Faut-il requalifier certaines zones AMII en zones d’intervention publique ? Faut-il suspendre ou renégocier certains AMEL qui ne tiennent pas leurs engagements ? La question d’un “Plan France Fibre 2”, ciblé sur les zones à très faible progression, pourrait ressurgir dès les Assises du numérique prévues cet automne.
Et Free dans tout ça ?
Historiquement, Free a souvent été plus offensif dans les zones très denses et les RIP que dans les zones AMII, où les conditions de co-investissement ont longtemps été jugées défavorables par l’opérateur. Pourtant, depuis 2022, Iliad a accéléré ses déploiements, y compris dans des RIP comme celui de la région Grand Est ou d’Occitanie.
Mais la situation actuelle pourrait rendre plus difficile l’extension de la base fibre Free dans les zones AMII en retard, d’autant que l’opérateur dépend de l’infrastructure construite par d’autres.
Vers une pression accrue sur l’Arcep ?
Dans ce contexte, Free, comme les autres opérateurs alternatifs, pourrait appeler à une clarification réglementaire, notamment sur les responsabilités en cas de non-raccordabilité dans les zones promises comme “couvertes”. Pour les freenautes concernés, la frustration est souvent maximale : adresse indiquée comme “fibrée” sur les cartes, mais sans aucun technicien en vue.
Le “tout fibre” en panne de crédibilité ?
L’ambition d’une France 100 % fibrée n’est pas abandonnée, mais elle s’éloigne à mesure que l’on approche des derniers mètres. À force de zones d’ombre, de retards accumulés et de promesses non tenues, c’est la confiance dans le pilotage du chantier fibre qui s’effrite.
En tirant la sonnette d’alarme dès le premier trimestre 2025, l’Avicca interpelle l’État et les opérateurs sur un point crucial : la dernière ligne droite du chantier est la plus difficile, mais aussi la plus décisive. Elle conditionne non seulement l’égalité d’accès au numérique, mais aussi la réussite de la fermeture du réseau cuivre et des services qui en dépendent.
Reste à savoir si cette alerte déclenchera enfin les mesures correctrices attendues, ou si la France s’achemine vers un “presque 100 %” fibre… qui pourrait rester inachevé pendant de longues années encore.