La fin de l’ADSL n’est plus une promesse lointaine : elle s’organise, se planifie, et prend forme concrètement dans les territoires. Orange, opérateur historique et gestionnaire du réseau cuivre en France, a annoncé ce 20 juin 2025 la pré-sélection de 10 487 communes dans le cadre du cinquième lot du programme national de fermeture du cuivre. Cette décision marque une étape clé vers la désactivation progressive du réseau ADSL, au profit de la fibre optique. Et avec plus de 10,5 millions de locaux concernés, c’est désormais un Français sur six qui est directement visé par cette transition.
Une nouvelle vague massive de fermeture.
Orange a publié la carte des communes pré-intégrées dans le « lot 5 », cinquième phase du plan d’extinction de son réseau cuivre, amorcé dès 2019. Ce lot comprend 10 487 communes, pour 10,5 millions de lignes cuivre, soit environ la moitié du parc ADSL national restant.
Cette annonce s’inscrit dans une logique de concertation et de progressivité, pilier du plan France Très Haut Débitlancé par le gouvernement en 2013. Selon le calendrier :
- La fermeture commerciale de l’ADSL (c’est-à-dire l’impossibilité de souscrire à une nouvelle offre) interviendra au 31 janvier 2026 ou 2027 selon les communes.
- La fermeture technique, qui correspond à l’arrêt définitif des équipements cuivre, est fixée à novembre 2028 pour ce lot.
Ce processus reste suspendu à confirmation : Orange annoncera en novembre 2025 la liste définitive des communes retenues, en fonction de plusieurs critères techniques, comme le taux de couverture en fibre optique (FTTH), l’avancement des travaux de raccordement, ou encore les retours des collectivités locales.
Une disparition du cuivre aux multiples facettes.
Une transformation technique d’envergure
Le réseau cuivre – installé massivement à partir des années 1970 – a permis à la France de devenir l’un des premiers pays couverts en téléphonie fixe puis en haut débit (ADSL). Mais aujourd’hui, cette infrastructure vieillissante montre ses limites :
- Bande passante réduite : souvent limitée à quelques Mbps selon l’éloignement au central ;
- Instabilité des débits et sensibilité aux intempéries ;
- Coût d’entretien élevé : Orange a indiqué que maintenir ce réseau devenait « économiquement irrationnel ».
La fibre optique, en revanche, offre des débits symétriques (jusqu’à 8 Gbit/s chez certains opérateurs comme Free), une latence plus faible, une fiabilité accrue, et surtout une meilleure efficacité énergétique. Selon l’Arcep, une ligne FTTH consomme en moyenne 4 à 5 fois moins d’électricité qu’une ligne cuivre équivalente.
Un enjeu industriel et environnemental
Le démantèlement progressif du cuivre permettra aussi à Orange de récupérer des métaux rares et valorisables, comme le cuivre lui-même ou certains alliages utilisés dans les centraux téléphoniques. En France, environ 1 million de kilomètres de câbles sont concernés.
Mais cette transition pose aussi des problèmes logistiques majeurs : il faut synchroniser l’arrêt des équipements, éviter les coupures intempestives, garantir la migration des services (téléphonie, téléalarme, téléassistance, équipements industriels).
Des territoires inégalement préparés à la fin de l’ADSL.
La fibre, une couverture encore hétérogène
Si la France affiche un taux de couverture en fibre de 80 % en juin 2025, les disparités territoriales sont flagrantes. Dans les grandes métropoles ou les zones très denses, les abonnés ont depuis longtemps migré vers la fibre. Mais dans les zones rurales, de montagne ou littorales, le raccordement est encore lent, voire inexistant.
Les RIP (Réseaux d’Initiative Publique), censés assurer l’équité territoriale, avancent à des rythmes très variables selon les régions. Certains départements – comme la Creuse, l’Ariège ou la Meuse – sont toujours en dessous de 60 % de couverture effective, selon InfraNum et l’Arcep.
Le risque d’un “black-out numérique” ?
La fermeture prématurée du cuivre dans des zones encore mal fibrées pourrait provoquer un effet d’éviction numérique pour les usagers les plus vulnérables :
- Personnes âgées, souvent dépendantes de la ligne fixe ;
- PME, pour qui une migration mal préparée peut engendrer des pannes ou pertes d’activité ;
- Collectivités locales, qui redoutent des troubles sociaux ou électoraux liés à ces coupures.
L’ARCEP a déjà alerté sur la nécessité d’un “atterrissage en douceur”, en exigeant une communication claire, des alternatives de qualité (notamment en 4G/5G fixe) et un accompagnement humain personnalisé.
Free et la fibre : position offensive, mais vigilance requise.
Un acteur bien positionné
Free, très engagé sur le FTTH via ses propres infrastructures, est relativement peu dépendant du réseau cuivre. Ses abonnés ADSL sont régulièrement incités à migrer vers des offres fibre attractives (Freebox Ultra, Pop, Révolution Light). Sur les RIP, Free est souvent présent de manière anticipée, grâce à ses accords avec Altitude, Axione, ou Covage.
L’opérateur a également investi depuis de plusieurs années dans la simplification des migrations, via des outils d’autodiagnostic, des box plug & play, et un suivi d’éligibilité automatisé.
Mais une vigilance à maintenir
Free devra néanmoins :
- Garantir des capacités d’installation suffisantes, en particulier dans les lots 5 et 6, où la demande va exploser ;
- Poursuivre ses efforts d’accompagnement technique et humain, notamment pour les TPE/PME, les seniors, ou les logements collectifs ;
- Renforcer ses solutions de secours, comme le backup 4G inclus dans certaines offres, pour éviter les coupures critiques lors des transitions.
Et après le cuivre, quel modèle d’accès ?
Un nouveau paradigme pour les télécoms
La fin du cuivre pose une question de fond : quelle doit être la politique d’aménagement numérique pour l’après-2030 ? Plusieurs chantiers sont déjà sur la table :
- L’universalité de l’accès FTTH, même dans les zones très dispersées ;
- L’intégration de la sobriété numérique dans le modèle de consommation ;
- L’évolution vers des infrastructures partagées, pour éviter la multiplication des câbles, réseaux, et équipements redondants.
La prochaine étape : le lot 6
Orange devrait annoncer courant 2026 le lot 6, qui marquera l’entrée de nombreuses agglomérations moyennes dans la phase de fermeture. Ce sera sans doute le test décisif pour mesurer la solidité du plan d’extinction. L’enjeu ne sera plus seulement technique, mais sociétal et politique.
La fin de l’ADSL n’est plus un horizon, c’est un tournant.
Ce cinquième lot acte une bascule symbolique : la moitié du réseau cuivre est désormais promise à la fermeture. Mais entre annonces nationales et réalités locales, la transition vers la fibre doit éviter l’écueil d’une fracture numérique relancée par un excès de vitesse.
Les collectivités, les opérateurs comme Free, et les pouvoirs publics devront coordonner leurs efforts pour que la fin du cuivre ne soit pas vécue comme une perte, mais comme le socle d’un Internet plus robuste, plus sobre, et plus égalitaire.