Canal+ et l’UFC-Que Choisir viennent de conclure un accord amiable aux allures de précédent juridique. Après plus de deux ans de bataille sur fond d’action de groupe, la chaîne cryptée accepte enfin de dédommager ses abonnés pour des hausses tarifaires appliquées entre 2018 et 2020 sans consentement clair. L’indemnisation peut aller jusqu’à 75 euros par client concerné, selon son ancienneté et son statut (abonné actuel ou résilié). Au-delà de la réparation financière, c’est une victoire symbolique pour les droits des consommateurs, dans un secteur où la hausse furtive des prix est devenue monnaie courante.
L’affaire des hausses silencieuses
En 2018, plusieurs abonnés de Canal+ constatent une augmentation inexpliquée de leur facture mensuelle. Pour certains, il s’agit de 2 à 5 euros en plus, appliqués sans demande explicite, ni validation contractuelle visible.
La méthode ? Des modifications unilatérales d’abonnement, dissimulées dans les lignes tarifaires, sans notification claire, et surtout sans accord formel de l’abonné. Face à ce que beaucoup jugent comme une “hausse déguisée”, l’UFC-Que Choisir lance en avril 2021 une action de groupe inédite, autorisée par la loi Hamon.
L’objectif est simple : obtenir justice, collectivement, pour des milliers d’abonnés.
Un accord à l’amiable qui change la donne.
Plutôt que de s’enliser dans un contentieux aux multiples rebondissements, Canal+ a préféré transiger. L’accord signé en juin 2025 prévoit une indemnisation forfaitaire comprise entre 20 et 75 euros par client, en fonction de sa situation.
Les abonnés encore clients recevront un avoir sur leur prochaine facture, tandis que ceux qui ont résilié leur contrat se verront envoyer un chèque par voie postale, sous six mois maximum après validation du dossier. Les demandes doivent impérativement être déposées avant le 31 décembre 2025 à 23h59.
La procédure a été simplifiée à l’extrême pour éviter tout découragement administratif : pas de frais, un formulaire court, un accusé de réception garanti. Il est même possible de joindre une simple capture de facture ou un relevé bancaire pour prouver l’abonnement passé.
Qui est concerné ? Pas seulement les clients actuels.
L’UFC précise que toute personne abonnée à Canal+ entre 2018 et 2020 et ayant subi une hausse non sollicitée peut faire valoir ses droits.
Trois cas de figure sont prévus :
- Vous êtes encore abonné ou avez résilié après le 31 mai 2020
→ Canal+ vous contactera automatiquement avec un formulaire prérempli. - Vous avez résilié avant le 31 mai 2020
→ Vous devrez envoyer vous-même un mail à [email protected], ou un courrier à l’adresse de Cergy-Pontoise. Il faudra y inclure votre nom, votre ancien numéro d’abonné, une adresse postale actuelle et une preuve d’abonnement ou de prélèvement modifié. - Vous ne savez pas si vous êtes concerné
→ Vous pouvez poser vos questions à [email protected], l’adresse créée par l’UFC pour accompagner les consommateurs.
Un précédent dans le paysage des services numériques.
L’accord trouvé ne se contente pas d’indemniser ponctuellement. Il vient rappeler aux plateformes qu’aucune évolution contractuelle ne peut se faire en silence. La jurisprudence ainsi créée pourrait servir de base à d’autres actions collectives, dans la téléphonie, le streaming ou la VOD.
Car le cas Canal+ est loin d’être isolé. Depuis 2021, plusieurs plateformes comme Netflix, Amazon Prime ou Disney+ ont revu leurs tarifs sans toujours obtenir un accord explicite de leurs abonnés. Le débat juridique porte alors sur la différence entre information passive (un e-mail de notification) et consentement actif (une validation explicite).
Une vigilance accrue côté consommateurs.
Ce cas doit aussi servir de piqûre de rappel pour les abonnés eux-mêmes. Face à la multiplication des services en ligne — et de leurs modifications discrètes — il devient crucial de :
- Surveiller ses relevés bancaires, même pour de petites hausses ;
- Conserver ses contrats ou mails de confirmation, surtout en cas de résiliation ;
- Réagir rapidement à une hausse floue, sans attendre des mois ;
- Utiliser les relais associatifs (UFC, CLCV, DGCCRF) pour ne pas être isolé.
Ce que Free et les opérateurs peuvent retenir.
Dans l’univers des télécoms, cette affaire Canal+ fait écho à certaines pratiques observées chez les FAI. L’ajout de services ou chaînes payantes sans consentement clair, le « renouvellement automatique » de promotions, ou encore l’évolution des tarifs « pour votre confort » sont devenus fréquents.
Free, souvent salué pour sa transparence tarifaire et sa politique de non-engagement, pourrait se saisir de cette actualité pour renforcer sa communication de confiance. À l’inverse, des opérateurs comme SFR ou Bouygues, parfois critiqués pour des augmentations tarifaires « en douce », pourraient devoir revoir leurs pratiques contractuelles.
Une régulation à repenser pour les abonnements numériques.
Cette affaire révèle aussi un manque criant de cadre clair pour les abonnements numériques :
- Qu’est-ce qu’un consentement explicite dans un univers dématérialisé ?
- Jusqu’à quel point peut-on faire évoluer un abonnement sans l’accord du client ?
- Quelle protection pour les anciens clients qui n’ont plus d’espace abonné ?
L’Arcom, la DGCCRF et l’Autorité de la concurrence sont régulièrement alertées sur ces sujets. Mais l’arsenal juridique reste souvent flou. Des obligations de double consentement, ou de signature électronique pour toute hausse tarifaire, pourraient bientôt être débattues dans les cercles législatifs.
Une victoire modeste mais déterminante
En acceptant de rembourser jusqu’à 75 € à ses clients lésés, Canal+ reconnaît un tort resté trop longtemps impuni. L’UFC-Que Choisir signe ici un succès emblématique, qui pourrait inspirer d’autres batailles collectives à l’ère du tout numérique.
Si les plateformes veulent rester crédibles, elles devront comprendre qu’un abonnement est un contrat, pas un abonnement à la surprise. Et que la confiance ne se monétise pas, elle se mérite. Pour les consommateurs, cette victoire rappelle qu’en se regroupant, ils peuvent faire plus que râler : ils peuvent faire jurisprudence.