S’il est bien une mesure radicale qui interroge autant qu’elle surprend, c’est le contrôle d’âge de la pornographie en ligne en France. À compter d’aujourd’hui, 4 juin, Pornhub, YouPorn et Redtube ne seront plus accessibles depuis la France. Leur maison mère, Aylo, dénonce un système de vérification d’âge jugé à la fois intrusif, peu sécurisé et contraire à la protection des données personnelles. Derrière cette annonce choc se joue une bataille plus large entre la volonté légitime de protéger les mineurs et la protection de la vie privée numérique, à l’ère du RGPD et des VPN.
Aylo se retire du marché français du X
L’annonce a été faite en conférence de presse le 3 juin. Aylo, propriétaire des géants Pornhub, Redtube et YouPorn, déclare suspendre l’accès à ses sites en France, estimant ne pas pouvoir se conformer sereinement à la nouvelle législation sur le contrôle d’âge.
Que dit la loi française ?
Depuis la loi de 2020 renforcée en 2022, les sites pornographiques doivent mettre en œuvre un véritable système de vérification de l’âge, sous peine de blocage par voie judiciaire. Exit donc la simple case “J’ai plus de 18 ans”, jugée inefficace. L’Arcom (ex-CSA) supervise ce dispositif, en s’appuyant sur les recommandations de la CNIL.
Un ultimatum fixé au 6 juin
Dix-sept sites majeurs avaient jusqu’au 6 juin 2025 pour prouver leur conformité. Faute de quoi, les fournisseurs d’accès à Internet français sont tenus de bloquer leur accès — une procédure déjà initiée pour plusieurs plateformes.
Entre protection de l’enfance et vie privée numérique
Un rejet frontal du modèle imposé
Dans un communiqué, Alex Kekesi, vice-président d’Aylo, insiste : « Nous sommes favorables à la vérification d’âge, mais pas à n’importe quel prix. » Pour le groupe, le système imposé par la France est symbolique, inefficace et dangereux, notamment parce qu’il repose sur la collecte d’informations personnelles sensibles.
Cette critique s’inscrit dans une tension croissante entre politiques publiques de protection des mineurs et exigences de confidentialité numérique. Aylo pointe aussi l’inadéquation d’un dispositif “jamais testé à grande échelle” et exposé à des risques de piratage massifs, en contradiction avec les bonnes pratiques de cybersécurité.
Une solution alternative : la vérification au niveau de l’appareil
Aylo plaide pour une authentification locale, par exemple via une API système qui vérifierait l’âge de l’utilisateur sans transmettre de données personnelles aux sites. Une logique défendue aussi par la CNIL, mais difficile à mettre en œuvre uniformément sur les navigateurs et plateformes.
Ce que révèle ce bras de fer réglementaire
Le cas Pornhub illustre symboliquement les limites actuelles de l’application du droit dans un espace numérique globalisé :
- Contournement facile via VPN en bloquant un site depuis la France n’empêchera pas son accès global.
- Pression sur les hébergeurs puisque Cloudflare et OVH pourraient vraisemblablement être mis à contribution pour filtrer l’accès.
- La création d’un précédent européen : en effet, le Royaume-Uni avait déjà tenté, puis suspendu une loi similaire en 2019.
En France, l’Arcom et la CNIL misent sur un système tiers de confiance (comme Yoti ou France Identité Numérique) pour permettre une authentification sécurisée. Mais aucune solution n’a encore fait consensus.
Enfin un nouveau modèle de régulation numérique ?
La perspective d’un Internet à plusieurs vitesses
Ce type de retrait pose une question politique fondamentale : qui fixe les normes de l’Internet mondial ? Si chaque pays impose ses conditions, certaines plateformes pourraient choisir de se retirer de marchés trop contraignants, au détriment de la liberté d’accès à l’information (ou aux contenus adultes, dans ce cas).
Le risque de créer des zones grises
Une fermeture officielle peut conduire les utilisateurs à se reporter vers des sites non régulés, illégaux ou hébergés dans des pays tiers, avec des risques accrus en matière de sécurité, de fraudes ou d’exposition des mineurs.