Alors que la fibre optique est devenue l’épine dorsale de l’infrastructure numérique en France, la neutralité de son accès pour tous les opérateurs reste un point de tension. Orange, en tant qu’opérateur historique, se retrouve souvent sous le feu des projecteurs lorsqu’il s’agit de garantir l’équité d’accès à ses réseaux. Une fois de plus, l’Arcep a mené l’enquête. Et les résultats sont sans appel : aucun traitement de faveur n’a été accordé à Orange dans le cadre des raccordements à la demande. Une décision rassurante, mais qui souligne aussi la nécessité de maintenir une vigilance constante.
Ce que dit l’audit de l’Arcep
L’Autorité de régulation des communications électroniques a examiné de près le traitement des locaux dits « raccordables à la demande » — c’est-à-dire les immeubles situés à proximité du réseau fibre, mais encore inactifs, notamment dans les zones moins denses. Lorsqu’un opérateur tiers en fait la demande, ces raccordements peuvent être déclenchés manuellement.
Orange a récemment multiplié ces locaux en réponse à des engagements pris devant le gouvernement. Cette évolution a soulevé des doutes légitimes : l’opérateur accorde-t-il un accès équitable à ces ressources, ou favorise-t-il ses propres offres commerciales ? Pour y répondre, l’Arcep a lancé un audit ciblé de ses systèmes d’information internes.
Le régulateur a conclu qu’Orange utilisait bien des outils communs à l’ensemble des opérateurs, sans pouvoir technique de contournement pour privilégier ses propres services. Il a également constaté une répartition équitable des quotas de traitement et n’a relevé aucun biais dans la gestion des commandes.
… mais ce que cela révèle vraiment du marché
La confirmation apportée par l’Arcep tombe à un moment stratégique. Alors que le marché français de la fibre atteint sa maturité, les tensions entre opérateurs s’intensifient. Les débats sur la mutualisation des réseaux, le partage des charges de maintenance ou encore la lenteur persistante de certains raccordements alimentent un climat concurrentiel de plus en plus tendu. Dans ce contexte, le verdict de l’Arcep renforce la crédibilité du cadre de régulation existant, tout en révélant les défis croissants liés à la complexité des infrastructures.
Depuis plus d’une décennie, les autorités ont imposé des garde-fous pour garantir une égalité d’accès aux réseaux déployés. Mais avec le ralentissement des déploiements de la fibre (FttH) prévu pour 2024-2025, les priorités évoluent. Il ne s’agit plus seulement de construire du réseau, mais de s’assurer que tous les opérateurs – y compris les plus petits – peuvent y accéder dans des conditions techniques et commerciales équitables. Le cas des locaux « raccordables à la demande » illustre bien cette mutation : les enjeux se déplacent du génie civil vers la gouvernance des outils numériques.
L’Arcep n’a identifié aucune discrimination dans les processus techniques mis en œuvre par Orange. Pourtant, l’opérateur historique conserve une position dominante qui lui permet de cumuler plusieurs leviers stratégiques : il possède les infrastructures, contrôle les données opérationnelles et entretient une relation directe avec des millions d’abonnés. Même en respectant les règles, cette position lui confère un avantage structurel que la régulation actuelle ne suffit pas à compenser. C’est pourquoi le régulateur et les pouvoirs publics doivent continuer à faire de la neutralité d’accès au réseau une priorité stratégique.
En route vers une régulation algorithmique ?
Le développement croissant de l’automatisation dans les systèmes d’information des opérateurs introduit un nouveau défi de taille : celui de la transparence algorithmique. Qui programme les algorithmes qui hiérarchisent les demandes de raccordement ? Sur quels critères techniques ou commerciaux reposent les décisions automatisées ? Comment s’assurer que ces processus ne génèrent pas de biais favorisant certains acteurs ? Pour répondre à ces questions, l’Arcep devra sans doute renforcer ses compétences en audit logiciel, avec le concours d’experts en intelligence artificielle, en cybersécurité ou en éthique numérique.
Il est désormais essentiel que les régulateurs puissent non seulement inspecter les outils visibles (interfaces, portails de commande), mais aussi analyser les mécanismes invisibles qui pilotent les arbitrages à grande échelle dans un environnement « cloudisé » et distribué.
Une surveillance décentralisée pour renforcer la transparence ?
En complément de la régulation centralisée, des pistes alternatives émergent. La mise en place d’outils open source ou d’observatoires techniques indépendants devrait pouvoir permettre aux opérateurs alternatifs – mais aussi aux associations de consommateurs – de vérifier en temps réel la qualité de l’accès au réseau. Ces dispositifs offriraient par conséquent une transparence accrue sur le fonctionnement des infrastructures partagées, à la manière de ce que propose déjà l’Arcep avec ses cartes de couverture mobile ou de débit fixe.
Cette idée d’une « régulation distribuée » avait déjà été évoquée en 2022 dans les travaux de l’Arcep, mais n’a, à ce jour, donné lieu à aucune implémentation concrète. Relancer ce chantier aura pour conséquence d’impliquer davantage les acteurs du secteur dans la surveillance active de la neutralité du réseau.
Mieux traiter les différends dans les zones sensibles
Enfin, il reste un point noir : certains opérateurs alternatifs continuent de dénoncer des pratiques déséquilibrées dans certaines zones spécifiques, notamment en zone AMII (Appel à Manifestation d’Intention d’Investissement) ou en zone très dense. Dans ces territoires, la complexité des cofinancements et la concentration des acteurs renforcent les risques de friction.
Pour apaiser les tensions, l’Arcep envisagera peut être mettre en place d’un dispositif de médiation renforcée. Ce mécanisme, plus souple que les procédures contentieuses classiques, faciliterait la résolution rapide des différends et améliorerait la fluidité du marché. Et dans le même temps de faire remonter plus efficacement les situations problématiques du terrain, en lien direct avec les opérateurs de proximité.
Source Arcep