Face à une montée en puissance technologique sans précédent des États-Unis et de la Chine, le vieux continent cherche à reprendre la main et instaurer de nouveau une véritable souveraineté numérique européenne. De quelque manière que ce soit. L’Innovation Makers Alliance (IMA), réseau influent d’acteurs numériques français et européens, publie un manifeste structuré autour de 33 recommandations. Son ambition : bâtir une souveraineté numérique solide et pérenne en Europe. Que contient réellement ce plan ? Est-il crédible ?
Un manifeste structurant pour le numérique européen.
L’IMA, qui réunit des acteurs majeurs comme OVHcloud, Hexatrust, Mistral AI ou encore Station F, tire la sonnette d’alarme. Dans un document rendu public en mai 2025, elle alerte sur les risques croissants de dépendance envers les grandes puissances numériques étrangères. Cette « guerre froide technologique », selon Christophe Grosbost, directeur stratégique de l’IMA, se manifeste par l’emprise croissante des GAFAM sur l’infrastructure, les logiciels et l’intelligence artificielle.
Le manifeste s’articule autour de 33 mesures concrètes. On y retrouve, par exemple, la création d’un guichet unique pour faire remonter les besoins technologiques des grands groupes aux start-ups européennes, ou encore la mise en place d’un « bonus souveraineté » : une réduction incitative sur les solutions européennes, calquée sur le modèle du bonus écologique.
Parmi les leviers évoqués figure aussi un Small Business Act européen. Il s’agit ici d’allouer une part plus significative des marchés publics aux PME et ETI du continent, pour stimuler leur croissance et leur permettre de rivaliser avec les géants américains ou chinois.
Souveraineté numérique : un enjeu de sécurité, mais aussi d’innovation.
Ce manifeste ne se contente pas d’aligner des propositions. Il décrit une vision systémique du numérique européen. Les sept axes prioritaires qu’il développe — cloud, IA, cybersécurité, blockchain, no-code, edge computing et open source — incarnent à la fois des vulnérabilités stratégiques et des moteurs potentiels de croissance.
Au cœur du dispositif : la volonté d’émanciper l’Europe d’une logique d’achats systématiques auprès d’acteurs extra-européens. Un message qui fait écho aux débats actuels sur la souveraineté des données, la régulation des grandes plateformes, ou encore l’hébergement des services publics.
En filigrane, une question : peut-on imaginer une Europe numérique compétitive sans rééquilibrage des règles du jeu ? Pour les auteurs du manifeste, la réponse est clairement non.
Une alliance inédite d’acteurs publics et privés.
Le manifeste bénéficie d’un large soutien : entreprises tech, industriels, think tanks, acteurs publics, écoles d’ingénieurs. Des institutions comme France 2030 ou La French Tech figurent parmi les signataires, apportant une caution étatique à ce qui reste une initiative privée.
Ce soutien trans-sectoriel est stratégique. Il montre que la question de la souveraineté numérique dépasse le champ de la seule innovation technologique. Elle touche aux modèles économiques, à la gouvernance des données, et à la résilience des chaînes de valeur numériques.
Un vrai tournant ou un énième rapport ?
Sur le fond, les propositions de l’IMA sont cohérentes et s’alignent sur les attentes d’une partie croissante de l’écosystème tech européen. Mais elles ne seront efficaces que si elles débouchent sur une véritable dynamique politique. Car pour passer du manifeste aux actes, il faudra un alignement fort entre Commission européenne, États membres et écosystème numérique.
D’autres voix se font entendre en ce sens, notamment dans les travaux du Parlement européen sur le Data Act et le Cyber Resilience Act. Ce moment pourrait donc être celui d’une bascule. Mais tout dépendra de la capacité à transformer ces 33 mesures en réglementations, budgets et projets industriels.
Et maintenant ?
Une course contre la montre La compétition technologique mondiale ne ralentit pas. Si l’Europe veut rester dans la course, elle doit transformer l’essai rapidement. La publication de ce manifeste pourrait servir de catalyseur à une nouvelle stratégie numérique européenne. Reste à savoir si les États membres et Bruxelles seront au rendez-vous.
D’ici là, les freenautes et les acteurs tech doivent rester vigilants, critiques et engagés. Car la souveraineté numérique ne se décrète pas. Elle se construit collectivement.