C’est une nouvelle échéance qui soulage les opérateurs télécoms. Initialement fixée à 2028, l’obligation de retirer les équipements Huawei des zones dites « sensibles » en France vient d’être repoussée à 2032. Une décision qui offre un délai supplémentaire à SFR et Bouygues Telecom, en première ligne sur ce dossier explosif mêlant enjeux économiques, souveraineté numérique et tensions géopolitiques.
Un répit bienvenu pour SFR et Bouygues
Selon Challenges, le gouvernement français a discrètement repoussé de quatre ans l’échéance du démantèlement des antennes Huawei dans les zones dites sensibles – c’est-à-dire proches de sites stratégiques comme les bases militaires ou les infrastructures critiques.
Initialement prévue pour 2028 par la loi dite « Anti-Huawei » de 2019, cette mesure avait pour objectif de réduire les risques d’ingérence ou d’espionnage associés à l’équipementier chinois. Mais la pression économique était forte : Bouygues et SFR ont investi massivement dans ces infrastructures avant la mise en place de cette loi.
Depuis 2019 :
- SFR a obtenu 905 autorisations de l’ANSSI, principalement pour des mises à jour logicielles sur antennes existantes.
- Bouygues Telecom a reçu 1 986 autorisations dans les mêmes conditions.
Les demandes d’indemnisation des deux opérateurs pour ces installations, jugées non rétroactives, n’ont pas abouti.
Désormais, avec ce report à 2032, les opérateurs disposent d’un calendrier plus souple pour étaler les coûts liés au démontage de ces équipements.
Souveraineté numérique ou dépendance technologique ?
Une décision plus politique que technique
Le report n’est pas qu’un simple geste comptable. Il reflète la complexité des choix industriels et diplomatiques autour des infrastructures télécoms.
Huawei, longtemps considéré comme un partenaire technologique de premier plan, est dans le viseur des États-Unis, qui pressent leurs alliés – dont la France – de limiter leur dépendance à l’équipementier chinois. Mais cette transition coûte cher, et aucun opérateur ne veut en supporter seul les conséquences.
Mais aussi une dépendance toujours plus forte hors zones sensibles
Ironie du sort : hors zones sensibles, le déploiement de Huawei ne ralentit pas, au contraire. Selon l’Institut français des relations internationales (IFRI), la part des antennes Huawei dans les réseaux mobiles français passerait de 13 % en 2024 à 33 % en 2028.
Autrement dit, les opérateurs utilisent pleinement la fenêtre laissée ouverte par la réglementation pour poursuivre leur collaboration avec Huawei, tant que cela reste légal.
Cela pose une question simple : peut-on vraiment parler de stratégie de souveraineté numérique, si dans le même temps, la dépendance technologique s’intensifie ?
Un vrai dilemme pour les télécoms français
Entre injonctions de sécurité et logique économique
Les opérateurs sont pris en étau entre des exigences de sécurité imposées par l’ANSSI, des directives européennes de cybersécurité, et des réalités industrielles : Huawei offre des équipements performants à moindre coût, avec un historique de collaboration solide.
Un retrait complet et rapide serait donc techniquement faisable, mais économiquement destructeur pour certains réseaux – en particulier pour SFR et Bouygues, qui ne disposent pas des marges de manœuvre financières d’un Orange.
Une souveraineté à géométrie variable
La France continue d’envoyer des signaux ambigus :
- Elle limite l’accès aux équipements Huawei dans certaines zones,
- Mais ne généralise pas cette restriction à l’ensemble du territoire,
- Et ne propose aucune stratégie nationale de substitution crédible ou financée.
Le report à 2032 gèle le problème sans le résoudre, et crée un précédent réglementaire : la sécurité nationale est désormais sujette à négociation.
Une échéance repoussée, une incertitude prolongée
Ce report à 2032 est un sursis plus qu’une solution. Il allège la pression sur les finances des opérateurs mais ne tranche pas le cœur du problème : Huawei est-il un partenaire fiable ou un risque structurel ? La réponse varie selon les intérêts politiques, économiques ou géostratégiques du moment.
À l’heure où l’on parle de souveraineté numérique européenne, la France donne l’impression de naviguer à vue. En attendant, les réseaux mobiles continuent de s’appuyer largement sur un acteur que l’on voulait pourtant tenir à distance. Jusqu’à quand ?