Retour en ligne pour les géants du porno. Ce 20 juin, Pornhub, Redtube et Youporn sont redevenus accessibles aux internautes français après plusieurs semaines de blocage volontaire par leur maison mère, Aylo. En cause : une suspension judiciaire de l’arrêté imposant une vérification d’âge obligatoire, décriée pour ses risques sur la vie privée. Une décision provisoire qui relance un débat brûlant : comment protéger les mineurs en ligne sans basculer dans la surveillance généralisée ?
Suspension temporaire, retour en ligne
Tout est parti d’une initiative gouvernementale française visant à bloquer l’accès aux sites pornographiques ne respectant pas l’obligation de vérification d’âge. Devant la menace imminente d’un blocage par l’Arcom, Aylo a choisi de désactiver l’accès à ses plateformes en France avant même l’exécution de l’arrêté.
Mais le tribunal administratif de Paris a suspendu cette mesure, estimant qu’un doute sérieux pesait sur sa compatibilité avec le droit européen, notamment sur la protection des données personnelles.
Résultat : depuis le 20 juin, les sites sont de nouveau accessibles, dans l’attente d’une décision de fond. Le gouvernement, de son côté, a annoncé un ultime recours devant le Conseil d’État.
Entre droit à l’intimité et responsabilité numérique
Une régulation de bonne intention, mal calibrée ?
Depuis la loi de 2020 renforçant la lutte contre l’exposition des mineurs à la pornographie, les plateformes ont l’obligation légale de mettre en place un système de vérification de l’âge efficace. Mais dans les faits, peu s’y conforment, arguant de problèmes techniques et éthiques.
Les solutions envisagées — selfies, pièces d’identité, codes chez les buralistes, micro-paiements — posent de graves problèmes de confidentialité et ouvrent la porte à des dérives sécuritaires, incompatibles avec les principes du RGPD(Règlement général sur la protection des données).
L’équilibre introuvable entre protection et anonymat
Aylo ne nie pas l’importance de protéger les mineurs, mais dénonce une méthode inefficace et disproportionnée. Le groupe appelle à une réglementation claire, harmonisée, et techniquement viable, défendant une solution interopérable, anonyme, et soutenue par l’écosystème tech et juridique.
Le cœur du débat ? Comment vérifier l’âge sans identifier la personne. Une équation que même les régulateurs européens peinent à résoudre.
Une question plus large : vers une identité numérique européenne ?
Les sites adultes comme laboratoire des politiques numériques
Ce bras de fer pourrait bien devenir un cas d’école pour la régulation numérique en Europe. Derrière le cas Pornhub, se profile un enjeu de société plus vaste : la gestion de l’identité en ligne. Faut-il instaurer une identité numérique vérifiable pour accéder à certains contenus ? Avec quelles garanties ? Et surtout : qui la contrôle ?
L’Europe à la croisée des chemins
Le Digital Services Act (DSA) impose aux grandes plateformes plus de transparence, mais ne tranche pas encore la question du contrôle d’âge standardisé. Plusieurs pays européens testent des solutions. L’Allemagne par exemple impose un contrôle via carte d’identité, alors que l’Espagne et les Pays-Bas misent sur des tiers de confiance anonymes.
La France, avec sa ligne dure, se heurte ici à la complexité du respect du droit européen. Le Conseil d’État devra trancher entre protection des mineurs et protection des libertés numériques.
Protéger sans fliquer, un défi politique et technique
Le retour de Pornhub, Redtube et Youporn en France ne règle rien, mais remet le débat sur la table. Comment concilier la protection des mineurs avec celle des droits numériques ? Derrière ce combat, c’est la conception même de la régulation du Web qui se joue, entre libertés individuelles, devoir de protection et souveraineté numérique.
La solution viendra-t-elle d’une identité numérique anonyme européenne ? D’un label de conformité RGPD pour les systèmes de vérification d’âge ? Ou d’un tout autre modèle à inventer ?
Le blocage ne fait pas une politique. Et c’est tout l’enjeu des prochains mois, au carrefour du droit, de la tech et des libertés fondamentales.