Le 30 juin 2025, Bouygues Telecom mettra fin à ses offres prépayées, clôturant deux ans de transition progressive. Ce départ n’est pas anecdotique : il signe presque la disparition d’un segment historique du marché mobile français. Seuls Orange (Mobicarte), SFR et quelques MVNO (Lebara, Lycamobile, Syma) s’accrochent encore à ce modèle. Mais dans un paysage où les forfaits sans engagement ont gagné la partie, le prépayé est-il condamné ? Et surtout : Free, qui ne propose toujours aucune offre prépayée, aurait-il une carte à jouer dans ce qui pourrait être le dernier round de cette formule mobile ?
Prépayé en France : une lente extinction d’un modèle vieux de 25 ans
Dans les années 2000, le prépayé était la norme pour de nombreux usagers : adolescents sans compte bancaire, voyageurs internationaux, clients précaires ou méfiants vis-à-vis de la facturation. Les Mobicarte, Le Kit SFR ou Bouygues Nomad remplissaient les rayons des supermarchés.
Mais en 2025, le poids du prépayé dans le parc mobile français est tombé à 6,7 % (Arcep, Observatoire T1 2025), contre 30 % en 2010. C’est une chute continue, aggravée par l’explosion du sans engagement, popularisé d’abord par Free, puis généralisé par RED, Sosh, B&YOU.
A titre d’exemple, en 2025, moins de 4 millions de lignes prépayées sont actives en France, contre 22 millions en 2012.
Une logique économique dépassée
Le prépayé s’appuie sur des recharges unitaires, limitées dans le temps, avec souvent un coût à la minute plus élevé. Cela ne correspond plus :
- Ni aux usages numériques actuels (streaming, réseaux sociaux, data en continu) ;
- Ni aux attentes des clients, qui préfèrent la prévisibilité budgétaire et la simplicité de gestion en ligne.
Pour les opérateurs, les clients prépayés sont volatils, peu rentables et difficiles à fidéliser.
Pourquoi Bouygues a jeté l’éponge : le calendrier d’un retrait en douceur
Le 30 juin 2025, Bouygues Telecom désactivera les dernières lignes prépayées encore actives. l est un fait c’est que depuis décembre 2024, il n’était déjà plus possible de recharger une ligne.
La procédure est claire : puisque les numéros seront résiliés si non portés vers une offre Bouygues ou concurrente et qu’aucun service ne restera accessible. Ni appels, ni SMS ni data.
Bouygues aura mis 24 mois pour sortir complètement de ce segment, en évitant toute communication grand public pour ne pas froisser sa base client historique.
Une stratégie de simplification
Le retrait de Bouygues Telecom du marché du prépayé s’inscrit tout simplement dans une logique de simplification, motivée par trois facteurs clés. D’abord, la complexité opérationnelle inhérente à la gestion des lignes prépayées : entre la logistique des stocks, la distribution physique, le service client dédié et le suivi de la validité des recharges, ce modèle demande des moyens disproportionnés au regard de son rendement.
Ensuite, l’opérateur souhaite recentrer ses efforts sur B&YOU, sa gamme 100 % digitale et sans engagement, dont le fonctionnement est parfaitement aligné avec les nouveaux usages mobiles : flexibilité, autonomie et parcours en ligne. Enfin, d’un point de vue purement économique, le prépayé génère une rentabilité très inférieure. Un client sur offre prépayée rapporte en moyenne moins de 5 euros par mois, contre 11 à 18 euros pour un utilisateur d’un forfait postpayé sans engagement, selon les chiffres de l’Arcep pour 2024.
Le prépayé a-t-il encore un intérêt en 2025 ?
Des usages résiduels, mais bien réels
Si le prépayé a perdu de sa superbe dans les pays matures, il conserve néanmoins des usages spécifiques qui justifient son maintien, au moins sous des formes adaptées. Les touristes internationaux figurent parmi les premiers concernés : beaucoup préfèrent acheter une carte SIM locale dès leur arrivée pour éviter les frais de roaming ou pour disposer d’un numéro français temporaire.
Le prépayé reste aussi la solution privilégiée pour les mineurs, souvent pour un premier téléphone sans engagement à long terme. Autre profil : les personnes non bancarisées, qui représentent encore une frange silencieuse du marché, mais non négligeable. Enfin, certains utilisateurs optent pour une ligne secondaire à usage ponctuel : location courte durée, remplacement temporaire, modem 4G dédié, ou carte SIM insérée dans un appareil connecté.
Ces usages sont particulièrement observés dans des zones géographiques à forte fréquentation touristique ou transfrontalière : Outre-mer, gares, aéroports, stations balnéaires ou épiceries de quartier. Selon l’Arcep, près de 35 % des lignes prépayées activées en 2024 ont été utilisées moins de trois mois, ce qui souligne leur fonction transitoire voire jetable.
Les MVNO restent les derniers bastions du prépayé
Face à la désaffection progressive des grands opérateurs historiques, ce sont désormais les opérateurs virtuels (MVNO) qui tiennent le segment à bout de bras. Lebara cible en priorité les travailleurs migrants avec des offres incluant des appels internationaux.
Lycamobile, très implanté dans les quartiers populaires, repose sur un réseau de distribution physique dense. Syma Mobile mise sur une approche flexible avec une large palette de recharges et une politique tarifaire agressive en roaming. Des enseignes comme Auchan Telecom ou Carrefour Mobile, quant à elles, profitent de leur implantation physique pour écouler des offres à bas coût en point de vente.
Free : pionnier du sans engagement, mais toujours sans offre prépayée
Depuis son lancement fracassant sur le mobile en 2012, Free n’a jamais proposé d’offre prépayée. Et pour cause : l’opérateur a délibérément opté pour une stratégie de rupture, incarnée par son forfait à 2 euros (ou gratuit pour les abonnés Freebox). Ce forfait minimaliste, sans engagement, sans frais cachés, et intégralement gérable en ligne, répond déjà à la plupart des cas d’usage historiquement couverts par le prépayé. Besoin ponctuel ? Budget serré ? Contrôle parental ? Le forfait Free s’y prête parfaitement, tout en offrant la stabilité et la simplicité du postpayé.
Selon les données du groupe Iliad, le forfait à 2 € représenterait encore près de 20 % du parc mobile de Free en 2024, soit plus de 3 millions de lignes actives. Une preuve supplémentaire que l’opérateur a su capter les profils que les autres cantonnaient au prépayé.
Les bornes Free : un outil sous-exploité pour le prépayé ?
Free dispose d’un réseau conséquent de bornes automatiques, implantées dans de nombreux points de vente physiques. À première vue, celles-ci pourraient tout à fait accueillir une offre prépayée. Pourtant, un tel virage exigerait des ajustements significatifs : il faudrait créer une nouvelle gamme tarifaire spécifique, gérer un stock physique distinct de cartes SIM, et mettre en place une logique de recharge indépendante. Autant d’éléments qui viendraient complexifier inutilement un modèle que Free a toujours voulu simple, digital et uniforme.
Free pourrait-il relancer le prépayé autrement ?
Plutôt que d’imiter les modèles du passé, Free se voit aujourd’hui dans la capacité d’envisager une forme de réinvention du prépayé adaptée aux standards de 2025. Trois pistes sont à ce titre exploitables.
1. Une offre prépayée digitale à usage limité
Il s’agirait d’une SIM ou eSIM préchargée, valable pour 7 ou 30 jours, comprenant une enveloppe data et voix. Elle serait achetable uniquement en ligne ou via les bornes Free, sans compte client, ni reconduction automatique, et offrirait une activation instantanée.
2. Des “Pass Free Tourisme”
Pensés pour les touristes, ces Pass seraient vendus dans les aéroports, hôtels et lieux touristiques, avec une interface multilingue et une activation simplifiée en anglais. Ils incluraient roaming UE et validité limitée, répondant aux usages de courte durée.
3. Un “forfait sans facture” basé sur le NFC
Rechargeable via carte bancaire, QR code ou application, ce forfait sans engagement ni compte client offrirait un accès data + voix immédiat, idéal pour une ligne secondaire ou pour connecter un objet (modem, GPS, tablette). Il serait géré via l’application Free ou une carte dédiée, dans un format 100 % dématérialisé.
Ces modèles permettraient à Free de répondre aux derniers cas d’usage du prépayé tout en préservant la cohérence de son architecture tarifaire.
Bouygues sort du jeu, mais le marché du prépayé est-il clos ?
Orange et SFR n’ont pas encore lâché l’affaire
Chez Orange, Mobicarte survit, mais dans un état quasi végétatif : options data limitées, faible visibilité, et peu d’investissement marketing. Même constat chez SFR, qui propose encore des recharges valables 30 jours, mais sans innovation ni différenciation concurrentielle.
Ces offres tiennent plus du vestige que de la conquête commerciale. À tel point qu’Orange ne mentionne même plus Mobicarte dans ses bilans financiers depuis 2022.