Alors que les opérateurs télécoms pressent Bruxelles pour allouer la bande haute du 6 GHz à la 6G, l’industrie du Wifi contre-attaque et revendique un usage libre et partagé de ce spectre stratégique.
Une bataille de spectre déterminante pour l’avenir du sans-fil
Le 6 GHz est devenu le nouveau champ de bataille entre deux piliers des communications numériques : le Wifi d’un côté, les réseaux mobiles de l’autre. En cause : l’usage de la bande supérieure du 6 GHz, ressource rare et précieuse dans un monde de plus en plus connecté.
Après l’appel des opérateurs européens à flécher cette bande vers les futurs services 6G, 58 acteurs du secteur Wifi — regroupés autour de la Dynamic Spectrum Alliance — viennent de répondre en interpellant la Commission européenne. Dans leur lettre adressée à la députée Henna Virkkunen, ils réclament une ouverture sans restriction de la bande 6 GHz au Wifi.
Ce groupe, composé d’industriels, de fournisseurs technologiques et d’associations professionnelles, plaide pour une approche inclusive et collaborative, soulignant qu’un partage harmonisé du spectre est non seulement possible, mais souhaitable.
Une querelle technologique aux implications diverses et variées
Derrière ce bras de fer, deux visions s’opposent :
- Les opérateurs télécoms veulent sécuriser un spectre exclusif pour soutenir la montée en puissance de la 6G, à horizon 2030.
- Les défenseurs du Wifi — dont des géants comme Broadcom, Cisco ou HPE — rappellent que la majorité du trafic Internet passe déjà par le Wifi, et que limiter son expansion serait freiner l’innovation dans les usages résidentiels, industriels ou éducatifs.
La demande Wifi s’appuie sur une tendance de fond : la démocratisation du Wi-Fi 6E et l’émergence du Wi-Fi 7, qui utilisent déjà la bande 6 GHz pour offrir des débits multi-gigabit, une latence réduite et des performances accrues dans les environnements saturés.
L’un des arguments centraux des défenseurs du Wifi réside dans l’usage majoritairement indoor du trafic IP européen, pour lequel le Wifi constitue l’infrastructure terminale essentielle. Restreindre son accès au spectre reviendrait à brider une chaîne de valeur stratégique, au bénéfice d’une technologie mobile encore expérimentale.
Une Europe face à ses arbitrages
Le débat sur la bande 6 GHz cristallise une tension classique mais décisive dans la politique du spectre : favoriser l’usage exclusif et verticalisé des opérateurs, ou promouvoir une gestion partagée et orientée vers l’usage final.
Dans un contexte où l’Europe tente de rattraper son retard sur la connectivité avancée (5G, FTTH, cloud souverain), ce choix ne sera pas neutre. Une affectation exclusive au mobile renforcerait l’écosystème des telcos, mais pourrait freiner des innovations Wifi ouvertes, souvent plus accessibles pour les PME, les écoles, les foyers.
Le régulateur européen (CE, CEPT, RSPG) devra arbitrer entre ces modèles, sans perdre de vue les impératifs :
- d’équilibre concurrentiel,
- d’efficacité spectrale,
- et de souveraineté technologique.
Alors partage ou confrontation ?
Le bras de fer autour du 6 GHz illustre une fois de plus que la politique du spectre n’est pas une affaire purement technique, mais bien un enjeu industriel et politique majeur. À l’heure où la connectivité devient une ressource vitale, les choix opérés par Bruxelles façonneront l’écosystème numérique européen pour les 15 prochaines années.